Chaque mois, vous retrouverez ici un acteur du secteur du grand âge qui viendra donner son point de vue en répondant à 3 questions. On commence avec le Pr Bertrand Fougère.
Notre invité
Bertrand Fougère
Bertrand Fougère est Professeur de Gériatrie et Chef du Pôle Vieillissement au CHU de Tours. Il est devenu au fil des années un des acteurs les plus en vue dans le monde du grand âge. On le lit dans la presse, on l’écoute dans les colloques, on le voit à la télé. Partout, il défend sa cause : la prévention et le vieillissement en santé.
Il a récemment inspiré la création du Gérontopôle Centre-Val de Loire. Il est consulté très régulièrement par les pouvoirs publics qui lui ont confié notamment le co-pilotage du Grand défi « Dispositifs médicaux numériques et Bien Vieillir »

Bertrand Fougère, vous vous êtes fait depuis longtemps l’apôtre de la prévention et notamment du modèle ICOPE que le Parlement a institué en 2024 dans la loi Bien Vieillir comme l’outil de référence en matière de repérage des fragilités et de la perte d’autonomie. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots en quoi consiste l’outil ICOPE?
BF : Le programme ICOPE (Integrated Care for Older PEople)qui a été originellement conçu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et largement promu en France par les équipes de l’IHU de Toulouse du Pr Bruno Vellas permet à toute personne de 60 ans et plus, autonome, de bénéficier d’un dispositif de repérage précoce de la fragilité et de la perte d’autonomie.
Ce programme consiste à favoriser une approche intégrée de la santé qui prend en compte les capacités essentielles de la personne (mobilité, nutrition, mémoire, audition, vision et santé mentale), les pathologies associées, l’environnement et le mode de vie avec pour objectif de développer un plan de soins centré sur la personne, en considérant ses souhaits et ses aspirations. L’accent est mis sur le fait que la personne est actrice de sa prise en charge et de son suivi.
Au fond, ce programme part du principe, essentiel, que mieux vaut prévenir que subir. Et que si un travail d’anticipation est réalisé bien en amont, il permettra de repérer tôt les premiers signaux de fragilité et dès lors de proposer une évaluation et des interventions spécifiques et robustes afin de maintenir son autonomie le plus longtemps possible.
D’ores et déjà, trois outils numériques gratuits sont désormais référencés dans « Mon Espace Santé » : ICOPE Monitor, ICOPE & Moi et DigiCOPE. Si en utilisant cet auto-questionnaire, l’usager est alerté qu’il est en situation de fragilité sur une de ses capacités, il est invité alors à consulter un professionnel de santé pour une évaluation complémentaire. La phase expérimentale entre 2022 et 2024 a permis à près de 70.000 personnes d’être mise en situation d’alerte. Aujourd’hui, près de 100 000 personnes participent au programme ICOPE.
Quelles sont aujourd’hui les freins que vous constatez dans le déploiement de cet outil ?
BF : Comme toute réforme d’ampleur, il existe évidemment un problème de méthode pour déployer massivement la solution. Car il s’agit ici de mobiliser des acteurs très divers qui n’ont pas tous l’habitude de communiquer et partager : les ARS, les nouveaux services publics départementaux de l’autonomie (SPDA), les professionnels de santé… Mais tout l’enjeu aujourd’hui consiste à ce que le secteur social et médico-social s’empare d’ICOPE. Qu’il s’agisse des EHPAD mais aussi des intervenants en ville (aides à domiciles, postiers, prestataires à domicile, CCAS …). L’implication de tous les acteurs est indispensable à la réussite du programme. L’objectif, c’est d’atteindre 2 millions de personnes d’ici à 2027.
Mais ça c’est la phase 1, celle qui constitue une première étape, celle du repérage. Les phases ultérieures – l’évaluation approfondie des signes de fragilité, le plan personnalisé de prévention et le suivi et le soutien aux aidants – devront être mises en œuvre dans un second temps. Nous ne sommes donc pas prêts d’en finir avec le déploiement d’ICOPE mais l’important c’est que le processus est désormais lancé.
Parmi vos différentes casquettes, vous êtes également co-pilote du Grand défi « Dispositifs médicaux numériques et Bien Vieillir » lancé par le Ministère de la Santé. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet enjeu pour les Ehpad ?
BF : Le Grand Défi « Dispositifs Médicaux Numériques et Bien Vieillir » vise à soutenir le développement et l’évaluation de technologies innovantes pour prévenir la perte d’autonomie, améliorer la qualité de vie des personnes âgées et accompagner les professionnels du secteur.
Pour les Ehpad, c’est une opportunité stratégique : ces établissements peuvent devenir des terrains d’expérimentation de solutions numériques (télésurveillance, objets connectés, intelligence artificielle) conçues avec les soignants et les résidents, dans une logique de co-conception. Cela permet non seulement d’améliorer les parcours de soins et de vie, mais aussi d’agir sur la qualité de vie au travail, la coordination avec le domicile, et la reconnaissance du rôle des EHPAD comme acteurs innovants au cœur des territoires. Ce Grand Défi permet aussi de produire des preuves médico-économiques robustes pour favoriser l’accès au marché de ces innovations. C’est une manière concrète de faire des Ehpad des acteurs au cœur de la dynamique du bien vieillir.
La boite à outil

